Philippines – La pauvreté, la violence et la corruption
Dans l’article de la présentation générale du pays (à lire avant cet article), j’avais posé cette grande question : « Dieu a donné aux Chrétiens des principes moraux et éthiques qui sont bon pour l’homme puisque donné par Dieu lui-même (en gros, tout est concentré dans les 10 commandements). Alors, comment se fait-il que le pays soit ravagé par une si grande pauvreté, qu’il y ait un si haut niveau de corruption et qu’il y ait tant de violence extrême ? En quoi l’Eglise catholique a-t-elle pêché pour en arriver à la situation désastreuse d’aujourd’hui ? ».
Après ma visite du pays, j’avais décidé de rester 2 mois supplémentaires à Manila, pour essayer de mieux découvrir la vie locale, visiter des quartiers difficiles et trouver des éléments de réponse à la question ci-dessus. Tout ce que je vous partage ci-dessous est issue de ma propre expérience, avec des connaissances très limitées, qui n’engage que moi et qui a pour objectif de vous partager les choses telles que je les vécues.
Au fil des rencontres ici et là, que ce soit dans l’Eglise catholique ou ailleurs, j’ai remarqué que presque tout le monde fuit ma question : pas d’opinion personnelle (parce que je suis étranger ?), ou alors ils se posent la même question que moi, ou encore d’accepter de ne pas tout comprendre et de porter mon regard sur la croix de Jésus-Christ… Seulement 3 Philippins qui travaillent à l’international ont bien voulu essayer de répondre à ma question et nous avons pu avoir une conversation fructueuse. En fait, plus que des réponses concrètes, cela m’a surtout permit de constater les réactions des uns et des autres face aux problèmes majeurs du pays et de voir comment ils se sentaient responsables de tout cela ; car au final, nous avons tous une part de responsabilité, chacun à notre niveau, moi y compris en tant que visiteur par mon comportement.
La pauvreté
La source de la pauvreté est la corruption, tout le monde le dit. Mais l’impression générale que j’ai au fil du temps et des rencontres, est que presque personne ne se rend réellement compte que chacun est aussi responsable de la pauvreté par le mépris, le gâchis, l’ignorance, le refus du partage, le mensonge… Je me suis rendu compte aussi, que si tout le monde entend parler de la pauvreté, beaucoup de Philippins ignorent la vie miséreuse que certains endurent au quotidien, ce qui n’aide pas à combattre la pauvreté. Toutefois, les étudiants dans le cadre de leurs études, sont amenés à faire des stages et des sorties scolaires en allant aider les nombreuses associations qui aident les pauvres.
Pour mieux me rendre compte de la pauvreté, j’ai visité seul les quartiers de Manila et de Quezon réputés les plus difficiles concernant les conditions de vie, non pas pour faire le touriste, mais pour découvrir des réalités de mes propres yeux, de me laisser toucher par la vie actuelle du pays, de changer mon regard sur le monde et de mieux comprendre tout ce que j’entends dire. C’était une occasion que j’avais et que je ne voulais pas rater, d’autant que s’inculturer est assez facile puisque presque tout le monde parle anglais ; contrairement à l’Inde qui est très difficile à comprendre. Je vous présente en quelques mots les lieux que j’ai visités assez rapidement, sans vous donner volontairement trop de détails :
Salcedo
Salcedo est un quartier de 100 000 habitants situé au pied du port de Manila, c’est une presqu’île planquée au bout d’une route de 800 mètres. Si la première moitié du quartier est assez classique avec du béton partout, la deuxième moitié ressemble à une ville détruite par la guerre (je n’en connais pas la raison) avec des gravas partout, des routes défoncées, des constructions qui menacent de s’écrouler et des habitants qui vivent dans des constructions de fortunes. C’est le pire quartier que j’ai visité, complètement différent du reste de la ville, où se trouve une importante communauté musulmane et 3-4 mosquées en ruine. Pour se baigner, il y a la mer polluée ainsi qu’une plage de sable noir qui ressemble à un dépotoir avec ses sacs en plastique éparpillés un peu partout.
Pour ceux qui s’aventure au bout de la presqu’île, il y a encore la possibilité d’aller encore plus loin en marchant sur une digue en béton de 1,5 kilomètres (moins de 2 mètres de largeur) qui marque l’entrée du port de Manila ; sachant que sur les premières centaines de mètres de la digue, des Philippins habitent dans des petites pièces en bois, de part et d’autre de la digue au dessus de la mer !
J’ai été globalement bien accueilli par ceux que j’ai rencontrés et reçus 3 avertissements pour ma sécurité en ne me recommandant pas d’aller dans telle ou telle direction à cause la violence de certains due à la drogue, la prostitution… Pour moi, c’est clairement un quartier très difficile, où les dures conditions de vie se ressentent sur le physique et le moral des habitants. Eplucher 14 kg d’ail rapporte 80 pesos et des filles de 15 ans sont envoyées sur les bateaux pour satisfaire les besoins des marins moyennant finance.
Tondo
Tondo est un quartier de plus de 600 000 habitants sur 10 km2, c’est le plus peuplé et le plus dense de Manila, les habitants vivent entassés les uns sur les autres, dans un labyrinthe de ruelles. C’est un quartier que j’aime beaucoup parce c’est vivant, joyeux et coloré. Il y a tant de monde, que j’ai l’impression de me retrouver en Inde avec des Philippins dans tous les recoins. Impossible de traverser le quartier sans être repéré, même s’il n’y a personne dans la rue, il y a toujours une paire d’yeux qui vous scrute. Les habitants sont nombreux, les logements sont limités, ici chacun agrandit son chez soi en étalant ses affaires dans les rues et les ruelles.
Contrairement à d’autres quartiers noircis par la pollution, ici les maisons sont colorées et les nombreux vêtements qui sèchent dans la rue offrent encore plus couleurs à vos yeux. Si traverser le quartier de jour ne pose pas de problème, la nuit c’est dangereux. Ici, j’ai été accueilli par un chef de barangay (plus petite division administrative qui regroupe quelques rues à Tondo), qui tenait absolument à me faire visiter son local peint en orange et à me présenter à toute son équipe.
Smokey Mountain
Smokey Mountain est l’ancienne décharge publique de la métropole située au nord de Tondo, qui a été fermée en 1995 après 40 années de service à collecter tous les déchets de la métropole. Aujourd’hui la nature a repris ses droits et des familles continuent de vivre sur la décharge dans des cabanes en bois et en tôle, sans eau mais avec électricité. Une école (en bois et en tôle) a été construite par un pasteur, qui permet de scolariser les enfants du site. Les visiteurs de passage, sont accueillis par Agnès une femme de 45 ans, qui se charge de vous faire découvrir le site afin de mieux comprendre ce qui s’y passe. Chaque lundi (le jour de ma visite), une association vient apporter de la nourriture aux enfants et leur donne une poignée de cacahuètes, une pomme et une banane. Ma visite sur le site a été trop rapide et a été interrompue par l’association venue à ce moment-là, parce que je les avais aidés et que je suis redescendu avec eux pour rapporter du matériel.
Payatas
Payatas est un quartier de 100 000 habitants de la ville de Quezon, situé au bord de la métropole de Manila. Smokey Mountain fermé, Payatas a pris la relève, avec une décharge de 13 hectares pour accueillir tous les déchets de la région. L’accès au quartier est bien gardé, tout est contrôlé par le gouvernement et ses dizaines d’hommes en t-shirt vert qui scrutent absolument tous les moindres mouvements et plus particulièrement ceux du seul étranger venu se perdre ici.
L’accès à la décharge pour les visiteurs se fait sur une autorisation de la mairie de Quezon (à 10 km du site) ; les Philippins peuvent y aller librement pour visiter ou y travailler. Me concernant, j’ai juste fait le tour de la décharge, sachant que mon objectif était aussi de rencontrer les habitants et pas de faire le touriste qui regarde des gens trimer. En soi, le quartier n’a rien d’exceptionnel, si ce n’est que sur le côté est de la décharge, des Philippins travaillent et vivent dans des montagnes de déchets pour trier et vendre ce qui peut-être recyclable comme arracher les étiquettes sur les bouteilles en plastique. Ici, malgré les dures conditions de vie, les gens ont le sourire, les enfants sont toujours heureux et les éboueurs me saluaient à chaque fois qu’ils passaient devant moi. 1 kg de couverts en plastique rapporte 3 pesos, 1 kg de bouteilles en plastique 4 pesos et le coût de la vie est le plus bas que j’ai pu voir aux Philippines. Les photos que j’ai prises, ont été laissées dans l’ordre chronologique, vous montrant le circuit que j’ai fais.
Une chose qui m’a frappée après avoir visité les lieux ci-dessus, est que les Philippins ont presque toujours le sourire, comme si tout allait bien. En France, on voit beaucoup de pauvres qui ont un visage triste, qui sont souvent seuls et qui n’ont pas la joie de vivre. Ici, la pauvreté n’est pas une fatalité, les gens se battent pour vivre et je crois que ce qui les fait tenir, c’est que beaucoup d’entre eux prient et croient en Dieu.
La violence
La source de la violence est la corruption ; là aussi, tout le monde le dit. Dans un pays où chacun travaille pour soi, les plus forts écrasent les plus faibles ; ce qui accroît les tensions et augmente la violence, ne serait-ce pour montrer que l’on existe. Dans un pays religieux où les catholiques dominent très fortement, où si chacun se dit vraiment chrétien et qu’il pratique réellement sa foi en suivant les commandements de Dieu, ce qui se passe dans la réalité est en complète contradiction avec ce qui est enseigné. Lorsque je parle de cette contradiction avec le clergé, tous disent que les dirigeants ne sont pas chrétiens.
Celui qui comme moi est curieux et pose un peu trop de questions, découvre assez facilement que la violence est absolument partout y compris dans l’église catholique et qu’elle ronge le cœur de tout le monde, même de l’innocent. C’est un véritable cancer qui ronge à petit feu tous les habitants de ce pays sans que personne ne s’en rende réellement compte ni en prenne les moyens pour lutter contre cela. Bien sûr, beaucoup font des œuvres de charité pour aider les autres, mais je n’ai vu personne avoir assez d’humilité pour reconnaître qu’il peut aussi contribuer à la violence par ce qu’il fait, ce qu’il dit et d’accepter de changer.
Les Philippins passent beaucoup de temps à regarder la télévision : soit ils regardent des programmes stupides (des divertissements qui n’élèvent pas l’intelligence de l’homme), soit ils regardent des films de science fiction violent (d’horreur, de boucherie humaine…) mais jamais de programmes qui montrent la joie de vivre. Si vous ne voulez pas regarder la télévision, on vous impose des films violents dans les transports en commun. Comment garder la paix, lorsque même un bébé qui sort du ventre de sa mère baigne dans la violence durant toute sa vie ? Le pire, c’est que les Philippins ne disent rien, ils supportent et acceptent de subir des choses qu’ils ne veulent pas forcément.
Exemples : une fois, j’ai demandé sur un bateau d’arrêter de diffuser un film violent (meurtres en série) et une femme est venue me remercier d’avoir fait cela pour ses enfants. 5 minutes après, le film a été remis parce que l’on ne change pas les habitudes : l’équipage est incapable de vous donner une raison, c’est ainsi. Une autre fois, j’ai interdis à un responsable de bus de diffuser un film de boucherie humaine (The Purge: Election Year). Pourquoi diffuser ce film et pas un dessin animé pour les enfants ? Réponse : je n’en sais rien !
La violence dans l’Eglise catholique des Philippines
Impossible de fermer les yeux et de taire sur ce que j’ai vu de mes propres yeux. Si l’Eglise catholique appelle clairement à la paix et à œuvrer pour luter contre la pauvreté, la corruption et la violence, elle devrait commencer par faire le ménage au sein du clergé qui la compose et reconnaître avec humilité les tords qu’elle cause à autrui.
Voici quelques exemples que je n’ai jamais vus auparavant : regarder un film violent dans une salle de réunion des professeurs d’une école catholique. Un prêtre possède toute une collection de films violents dans un presbytère. Dans un autre presbytère, des jeunes qui aident le prêtre à gérer une église, regardent des films violents. Dans une autre église, des prêtres font un mini musée de guerre en affichant des photos de cadavres couvert de sang, en exposant un instrument de torture et font la promotion d’un film sur un révolutionnaire philippin. Dans une autre église, un jeune prêtre autorise en ne gérant pas correctement son église (il en avait conscience puisque je le lui avais dit), que des représentations de scènes de crimes se produisent devant l’autel juste avant Noël pour dénoncer les actions de l’actuel président de la République. Dans une autre église de montrer des images de Jésus Christ bien couvert de sang le jour du Vendredi Saint (le côté excessif compte tenu de la violence dans le pays) ou encore que des paroisses autorisent que des gardiens pénètrent dans les églises avec des armes à feu.
Si les églises sont censées être un lieu de paix, c’est loin d’être le cas dans toutes les églises catholiques des Philippines. Il me semble que dans un pays où la violence est très élevée, on devrait faire très attention à tout ce qui fait mémoire de la violence (sang, arme, guerre…) au moins pour un temps et que les prêtres montrent clairement l’exemple en pratiquant une vraie vie évangélique au lieu de faire ce que font les païens. Comment prêcher la paix si celui qui prêche ne fait pas grand chose pour combattre la violence qui est en lui ? Je suis dur sur les mots, mais vous ne pouvez pas imaginer combien la violence est omniprésente aux Philippines, elle s’immisce partout jusque dans les confessionnaux et elle est même entrée en moi.
La corruption
C’est la source de tous les maux de ce pays, qui pour moi ne peux s’éradiquer que par la vertu d’humilité. Si l’on ne reconnaît pas ses tords, on aura beau prêcher la paix, faire des œuvres de charité, le fond ne changera pas. Si l’Eglise Catholique dénonce avec fermeté tous les travers de la société, elle a du mal à montrer l’exemple surtout aux Philippines en ne pas reconnaissant pas explicitement les tords causés à autrui et en demander pardon (le Plenary Council of The Philippines de 1991, répond très partiellement à cette problématique). Si l’Eglise Catholique, qui est la plus à même à promouvoir les enseignements de Dieu (donné pour le bien des hommes), ne les applique pas au quotidien d’une façon exemplaire, qui pourra montrer l’exemple ?
La corruption est un fléau qui concerne tout le monde et dont on est tous responsables chacun à notre niveau soit en étant corrupteur, soit en ne la combattant pas. Je suis là aussi dur sur les mots, mais dans un pays qui se dit catholique, où il y a tant de souffrances et d’inégalités, cela a été pour moi une vraie souffrance intérieure.
En vous donnant des exemples bien concrets, j’ai donné des éléments de réponse à ma grande question, sachant qu’il n’y pas de réponse toute faite. Si j’ai tant insisté sur l’église catholique, c’est que je suis catholique et que cela me concerne personnellement puisqu’il s’agit de ma propre famille spirituelle.
Ce qui est sûr, c’est que l’on est tous responsables chacun à notre niveau de tout ce qui se passe actuellement dans le monde et que celui qui dit que c’est toujours la faute des autres, c’est certainement le pire menteur qui puisse exister !
Voir les photos des bidonvilles de Manila et de la décharge de Payatas.